USA : Une autre Défaite ?

Quelle est la nation qui n’a pas connu les affres et les stigmates de la défaite ? Certaines ont acquis une réputation de quasi-invincibilité comme les Etats Unis d’Amérique ou Israël comme jadis l’Armée Française ou l’infanterie espagnole du XVII mais tous les peuples, tous les états ont eu un jour à faire face à la défaite ou à tout le moins à l’échec.

2020 est l’année de beaucoup de commémorations ou simplement de rappels d’événements marquants la Défaite de mai 40, le quatre-vingtième anniversaire de l’appel du 18 juin, il y a  75 ans que l’Allemagne était traînée à la table des vainqueurs, il y a 50 ans de Gaulle nous quittait, en avril 75 Saïgon était submergée par  le mascaret communiste après dix ans d’une guerre effroyable.

Autant de rappels qui ne doivent pas escamoter  qu’après 19 ans de guerre intense, les USA, d’autres états et l’OTAN quittent l’Afghanistan pour laisser le champ libre aux talibans, les anciens alliés de Ben Laden, ce retrait peut être paré de nombreux épithètes mais si un doit être retenu, ce ne peut-être celui de « victorieux ».

Les deuxièmes buts de guerre des USA étaient d’empêcher le retour des talibans, comme instaurer un solide régime pro occidental « démocratique » ainsi qu’« une bonne gouvernance », au bout du compte, les USA négocient avec leurs pires ennemis, le gouvernement de Kaboul regardant passer les trains, ils cèdent une grande partie du pays aux talibans pachtounes  et tentent de sauver la face en se contentant de vagues promesses qui rappellent celles du FLN concernant le sort des harkis et des pieds noirs et dont on sait ce qu’il advint.

La courte histoire des USA est celle de guerres incessantes, l’histoire de ce pays dont l’indépendance est reconnue en 1783 commence par une guerre contre l’ancienne puissance tutélaire, la jeune nation veut absorber le Canada en 1812, une guerre féroce s’ensuivra, guerre  qui verra Washington incendié et au terme de laquelle les USA renonceront provisoirement à leur politique de domination du continent devant la volonté britannique.

L’escadre américaine bombardera Alger et Tripoli au début du XIX avant de remettre cela en 1986 par les airs toutefois.

Les guerres indiennes dureront un siècle jusqu’à Wounded Knee en 1890.

La guerre civile ravagera surtout le Sud de 1861 à 1865.

Tenir le compte des interventions extérieures serait fastidieux, les victoires sont loin d’être éclatantes jusqu’ 1945, date  qui consacrera la puissance universelle des USA contestée seulement par l’URSS.

Bien sûr, il y aura des ombres au tableau, l’échec de la libération des otages en Iran en 1980, , le carnage dans le camp des marines au Liban en 1983, le départ sans gloire de la Somalie en 1990.

Arrêtons-nous quelques instants sur la guerre de Corée de 1950 à 1953, guerre atroce qui pourra se parer aussi bien de la pourpre de la victoire que des oripeaux de la défaite, la coalition dirigée par Mac Arthur arrêtera la déferlante nord-coréenne puis la refoulera jusqu’à la frontière chinoise. C’est à ce moment que les USA sentent un rêve à leur portée : casser le régime de Mao en allant jusqu’à Pékin, illusion soufflée par un tsunami de 200 000 soldats chinois qui offriront l’enfer aux occidentaux jusqu’à la mort de Staline qui permettra là aussi un retour à un quasi-statu quo.

Cependant le but de cet exercice a pour modeste ambition à s’arrêter sur les guerres du Viet Nam et celle d’Afghanistan.

10 ans de guerre au Viet Nam

Après le départ des français, les USA prennent le Viet Nam du sud sous leur protection, le gouvernement du Viet Nam du Nord n’accepte pas l’annulation des élections prévues dans les accords de Paris , traduction diplomatique de la défaite de Dien Bien Phu, dès le début des années 60, le Viet Cong nouveau nom du Viet Minh, harcèle les troupes de la République du Viet Nam et règne ,entre autres, mais pas seulement, par la terreur ( 1100 chefs de villages assassinés après jugement par un « jury populaire » rien qu’en 1959.

La situation devient intenable pour la République du Viet Nam, les USA tâcheront de pallier la situation par l’envoi de conseillers militaires et de matériel jusqu’en 1965, rien n’y fera, le gouvernement de Diem ne peut contenir la vague, les américains débarquent leurs premières troupes de combat à Da Nang en 1965 pour un conflit qui durera 10 ans.

10 années qui verront la machine de guerre américaine déployer presque toute sa puissance, à l’exception de l’arme nucléaire qui avait pourtant tenté le Président Nixon, comme elle avait été préconisée par Mac Arthur en Corée contre la Chine, 8 millions de tonnes de bombes seront déversées sur le Viet Nam du Nord, le Cambodge et le Laos. Accueillant aussi une partie de  la piste Ho Chi Minh , le Cambodge deviendra le pays le plus bombardé de la terre, trois millions et demi de vietnamiens, militaires, civils, insurgés Viet congs périront, le Nord Viet Nam sera un champ de ruines, la terre infectée par les armes chimiques fait encore des ravages parmi les nouveaux nés aujourd’hui… mais au bout du chemin ce fut bel et bien  la défaite , en avril 1975, les T62 de l’armée du Nord entrent dans le parc de l’ambassade américaine, les américains et leurs alliés fuient en catastrophe.

Celui qui rédige ce travail a résidé aux USA de 1978 à 1985 où ses fonctions le mettaient en rapport journalier avec les militaires américains, l’un deux ayant fait deux « tours » au Viet Nam me confia : « Comment ont-ils pu tenir après les coups que nous leur portions ? nous, nous serions rendus 100 fois » ?

Comment en effet un tel déploiement de forces a-t-il pu déboucher sur un échec, pas une défaite, en effet, malgré les coups reçus à Khe Sanh ou pendant l’offensive du Têt, l’armée américaine ne sera  jamais battue dans le sens classique du terme.

Des éléments de réponse peuvent sans doute se trouver dans le discours du général de Gaulle  au stade de Phnom Penh en septembre 1966, le chef de l’Etat Français y parle de « résistance nationale », « d’illusions relatives à l’emploi de la force » de « renforcement perpétuel du corps expéditionnaire », « une escalade de plus en plus menaçante pour la paix du monde », de l’Algérie : « de la fin de combats stériles sur un terrain que pourtant nos forces dominaient sans cesse », « il n’y a aucune chance pour que les peuples d’Asie se soumettent à la loi de l’étranger venu de l’autre rive du Pacifique……si puissantes que soient ses armes… »

Une guerre américaine

La guerre sur le terrain commence alors pour les américains, elle est  animée par la certitude d’une victoire relativement rapide, l’ennemi ne peut que plier devant une déferlante de puissance hautement technologique, il pliera et vite, question de mois avant qu’il ne demande à négocier, un an ou deux peut être avant qu’il ne vienne à résipiscence

L’ennemi ne pliant pas ; le nombre de combattants US viendra à frôler les 500 000 sur le terrain, la guerre sera celle des B52 qui ravageront le Nord Viet Nam, le Cambodge et une partie du Sud pour effacer une piste Ho Chi Minh qui se reconstituera aussi vite qu’elle sera anéantie.

La majorité de la population américaine soutiendra au début cette guerre mise en scène par les principales chaînes de télévision et Hollywood, le Président Johnson et le chef des opérations Westmorland ne cessent de promettre une victoire pour demain ou après demain

L’offensive du Têt en 1968 et la bataille de Khe Sanh feront basculer l’opinion publique américaine qui commence à se rendre compte que la guerre ne cessera pas, que l’ennemi ; malgré des pertes inhumaines, ne cédera pas et que les boys vont continuer de rentrer au pays dans des housses.

L’Amérique commence à se déchirer, c’est une guerre d’appelés, ceux qui sont sur le terrain, les fantassins, sont souvent issus des couches les plus pauvres.

Les jeunes universitaires, comme le futur Président Clinton, utiliseront leurs relations politiques  pour fuir la conscription, G. W Bush se fera muter dans la garde nationale pour échapper au Viet Nam ils seront des milliers, les américains ne vont pas à la guerre pour être tués, 60 000 morts deviennent ce qu’il y a de plus inacceptable pour l’opinion publique.

En 1970 à Kent State University, la garde nationale ouvre le feu sur les étudiants et en tue 3, en blessant de nombreux autres.

Sur le terrain ; les ordres de patrouille dans la jungle ou en ville sont de moins en moins acceptés, les cas de refus d’obéissance deviennent fréquents, la violence à l’encontre des gradés se répand comme les « fraggings » : utilisation de la grenade à fragmentation contre ses supérieurs, la drogue circule partout dans les unités, la seule chose qui importe est de rentrer « safely home », ne pas mourir.

Les pertes matérielles deviennent très lourdes, 10 000 aéronefs seront perdus à l’ennemi, la charge budgétaire de la guerre commence à peser même si la facture est réglée en dollars, monnaie imposée au monde libre et que la planche à billets tourne à plein régime, le déficit se creuse inexorablement, un représentant américain avait remarqué devant les sommes astronomiques qui étaient nécessaires « ça fait cher du Viet Cong »

La guerre devient aveugle, des zones entières sont vidées de leurs habitants pour devenir des « free zones » rasées par les bombardements, la paranoïa règne et des villages entiers comme Mi Laï et Song Mi  sont exterminés par les Marines.

Les américains se bunkérisent et bombardent nuit et jour, la victoire s’éloigne toujours plus.

Le tableau ne serait pas complet sans ce que les américains appelleront leurs « uneasy allies », les sud vietnamiens, la qualification des armées sud vietnamiennes étaient dans la bouche de biens des officiers américains : « 100% unefficient », le régime était corrompu et l’armée peu combative, à de rares exceptions près, ce sont des épisodes de fuite devant l’ennemi en combattant à peine qui la caractérise.

La doctrine énoncée par Nixon en 1970 de la vietnamisation de la guerre sera un échec total, il faudra un déferlement de B52 en 1972 pour stopper l’avant dernière offensive de l’armée nord vietnamienne devant laquelle les sud vietnamiens fuyaient.

Une Guerre Nord Vietnamienne

Le point de vue de l’adversaire. Les « morts vivants » à Cam Ne. Le premier « Zippo raid » de la guerre du Viêt-Nam.

De leurs premiers contacts avec les Américains en juillet-août, les insurgés  ont déjà tiré quelques enseignements, comme l’indique un rapport du 3 juillet 1965 : « Points forts des Américains : ils ont atteint le niveau d’entraînement d’une force expéditionnaire. Ils sont armés d’armes modernes, plus légères que celles des Français ; leur transport est rapide, ils se déplacent rapidement, leurs renforts peuvent intervenir vite grâce aux véhicules, aux hélicoptères ou aux bateaux. Points faibles (par rapport aux Français) : aucun esprit de combat, ont peur de la guérilla ; se reposent toujours sur les armes modernes et donc perdent l’initiative (au contact, ils appellent l’appui-feu et les renforts) ; parfois l’artillerie doit conduire des tirs de soutien pour toute la durée de l’opération. Manquent d’expérience du combat, le connaissent en théorie seulement (manuels de campagne). De plus, sur un terrain inconnu, ils se déplacent à découvert. Beaucoup d’efforts pour les prières, et pour l’eau. La nourriture doit être apportée à chaque repas par les hélicoptères. Quand ils se déplacent, ils emploient toujours les hélicoptères et l’artillerie, l’objectif est donc toujours évident, et la guérilla peut suivre. Ne peuvent entreprendre de longues et difficiles opérations. S’ils opèrent à plus de 7 km de leur base, ils ont besoin de véhicules. Pas capables de supporter la température et le climat, beaucoup de soldats sont malades. Les positions défensives sont parfois organisées, mais lentement. Dans un cas, il a fallu dix jours pour voir apparaître les premières défenses et 30 pour voir installées des mines. Ils ne connaissent pas bien le terrain et ils courent lentement. ».

A la guerre, comprendre l’adversaire est essentiel, savoir comment fonctionne son esprit, il s’agit avant tout de comprendre une culture, se pencher sur son histoire, l’approche est ardue et ingrate.

Le général Giap vainqueur à Dien Bien Phu en 1954 s’exprimait ainsi en souriant lors du trentième anniversaire de sa victoire, sa philosophie tenait dans une phrase déconcertante de simplicité « nos adversaires n’avaient pas compris qu’à la guerre…. il faut vaincre. »

Cela signifiait pour le communiste totalitaire vietnamien et l’historien qu’il était, et signifie toujours, que lorsque l’on s’engage dans un conflit et que la décision a été prise d’atteindre les objectifs, le temps et les sacrifices si lourds soient ils passent au deuxième plan.

Plus de trois millions de morts, toutes les villes dévastées, les campagnes détruites, mais au bout de la route le Viet Nam réunifié, objectif atteint, « sur les cadavres jetons un manteau de paroles » (Aragon).

Comme disait aussi de Gaulle lors de l’appel du 18 Juin « La France n’est pas seule, elle n’est pas seule… », les insurgés ont pu compter sur un appui massif du bloc communiste, chinois et soviétiques, échangeant des mousquetades au-dessus du fleuve Amour, mais qui ont, comme un seul homme, fourni sans compter, armes et conseiller militaires, les missiles SAM étaient devenus la terreur des aviateurs U.S.

Américains et communistes savaient qu’il y avait une ligne rouge à ne pas franchir, s’attaquer à la Chine dont d’ailleurs les USA se rapprochaient toujours plus pour damner le pion aux soviétiques, il y là des facteurs objectifs qui mènent la guerre.

Bien sûr la population des villes et des campagnes était prise entre les feux de la terreur et ceux de la destruction, mais pour des paysans des rizières, voir la terre et les récoltes ravagées par les aéronefs américains était certainement plus impardonnable que la terreur que faisait régner le Viet Cong dans les campagnes.

Les USA sont de ces grands pays qui sont capables de se mettre en cause, en 1983 un documentaire télévisé de plusieurs heures reprend toute la guerre depuis 65, un responsable politique sud vietnamien faisait ce reproche à ses alliés américains «  vous nous avez pervertis », les dollars, la drogue, la prostitution qui deviendra une industrie de masse pendant toute la présence américaine, pour les paysans la honte, après avoir été chassé de leurs terres ancestrales, de voir leurs filles se vendre dans les bordels pour Gis.

L’Armée nord vietnamienne encadrée sans rémission par un régime totalitaire et nourrie à la propagande et l’espoir de la réunification aurait accepté des sacrifices aussi lourds que ceux de l’Armée Soviétique entre 41 et 45, « A la guerre, il faut vaincre… »

Afghanistan, une guerre américaine et occidentale

En octobre 2001, les Usa appuyés par leurs alliés vont s’engager dans la guerre la plus longue de leur histoire (19 ans).

Les buts de guerre sont évidents, dans un premier temps renverser les talibans -complices et protecteurs de Ben Laden- qui règnent à Kaboul et qui se refusent à livrer leur embarrassant hôte.

La première phase est connue, en quelques jours d’attaques fulgurantes, les talibans fuient et vont rejoindre leurs maquis montagneux et leurs zones tribales à la frontière avec le Pakistan. Kaboul est sous contrôle, objectif atteint. Il s’agira ensuite d’empêcher le retour des talibans et de mettre en place un régime pro occidental « de bonne gouvernance », ce sera l’échec.

Comme au Viet Nam, les USA sont très loin de leurs bases, les moyens et les fonds employés seront colossaux, 800 à 1000 milliards de dollars, un dollar qui est moins le maître du monde financier qu’en 1965, la guerre sera donc plus longue et coutera plus cher en comparaison.

Contrairement au Viet Nam, les adversaires affrontés seront surtout des guérilleros pachtounes, qui ne se risqueront jamais à affronter la coalition de front.

Peu de pertes matérielles, maitrise de l’air totale, utilisation de l’arme aérienne au maximum : avions, hélicoptères et drones, ces derniers étant utilisés massivement, la guerre high tech.

Peu de monde sur le terrain.

Des pertes en personnel  relativement faibles : 2400 morts  en 19 ans.

Une guerre d’engagés assez peu remise en question au pays.

Des médias beaucoup plus contrôlés qu’au Viet Nam, la leçon a été apprise.

Autre point commun avec le conflit vietnamien, des alliés locaux très exigeants, peu fiables, inefficaces, corrompus et en plus dangereux, les cas de soldats de l’armée nationale afghane retournant leurs armes contre les alliés occidentaux ne se comptent plus.

La guerre des insurgés

Ce qui frappe peut-être avant tout dans cet affrontement de 19 ans et de 41 années, si l’on commence à compter à partir de l’arrivée des soviétiques fin 79, c’est la certitude et la détermination à vaincre de la part des insurgés quel qu’en soit le prix et quelle que soit la durée, devant des forces qui les dominent mille fois par leurs moyens.

Certitude alimentée par une culture de guerres tribales mêlant naturellement l’état de guerre à celui de vie, une foi religieuse confinant au fanatisme  prônant l’acceptation de l’omniprésence de la mort que l’on ne doit pas craindre, voire appeler comme une bénédiction.

Comme pour le Viet Nam, une détestation de l’étranger athée et d’une autre race, envahisseur installant un régime corrompu et  rejeté par la population pachtoune, un envahisseur qui multiplie les victimes dans la population civile.

La question se posait déjà lors de la présence soviétique, au fait qui combattaient les insurgés ? les soviétiques ou d’abord des non musulmans qui n’ont pas leur place dans une société monoculturelle et qui fera tout pour le rester ?

Les insurgés talibans au moins dans les régions à majorité pachtoune sont « comme un poisson dans l’eau », il n’est que de constater les visages atterrés des députés afghans à l’annonce de la mort de Ben Laden.

Comme les insurgés vietnamiens, les talibans ne sont pas seuls, ils reçoivent le soutien de « brigades internationales » venus de beaucoup de pays musulmans et non musulmans pour faire le djihad.

Ils sont soutenus par un grand nombre d’instances officielles pakistanaises considérant que l’Afghanistan est leur arrière-cour, le rôle joué par les pakistanais est un échafaudage de rouerie très élaboré, ils joueront admirablement la figure d’alliés objectifs et obligés des américains tout en soutenant en sous-main les insurgés, ce dont  d’ailleurs les USA étaient  parfaitement conscients, qui pourrait imaginer une seconde que le gouvernement de Karachi ignorait la présence de Ben Laden chez lui ?

Il est peu de frontières aussi poreuses que celle qui fait semblant de séparer l’Afghanistan du Pakistan.

Enfin autre élément fondamental, le coût de la guerre, il faut pour contrer les effets des  engins explosifs artisanaux concoctés avec quelques dizaines de dollars des matériels dont le coût se chiffre en dizaines de milliers.

Conclure ?

Ou observer ? Constater d’abord qu’en Afghanistan, peut-être plus qu’au Viet Nam, il s’agit d’un échec à défaut d’une défaite, et pour rester en Afghanistan, d’une défaite des occidentaux devant une autre civilisation, différente en tout.

Il s’agit au Viet Nam, comme en Afghanistan et en Somalie de la défaite d’un Goliath loin de ses bases face à une population de plus en plus en plus hostile que malgré toutes ses tentatives il ne pourra jamais séduire, d’abord parce qu’elle voit en lui un « étranger ».

Pas plus qu’il ne sera possible de mettre en place un régime de « bonne gouvernance » capable d’emporter l’adhésion de la population, toujours ce seront des régimes corrompus, inefficaces et haïs par la population.

Dans ces deux guerres, une grand partie du pays, essentiellement rurale, devra  toujours être laissée aux « insurgés » qui, comme le FLN en Algérie, font régner une terreur impitoyable parmi la population civile.

Qui pourrait nier qu’il y a là un exemple incontestable de choc des civilisations selon la vision de Samuel Huntington ?.

Que ce soit le communisme athée des nord vietnamiens « prussiens de l’Asie » ou l’islam fanatique des talibans afghans, l’ennemi des occidentaux ne doutera jamais de la victoire quelle que soit la dureté des coups essuyés sur le terrain, il arrivera même assez vite à convaincre le vainqueur sur le terrain de l’inéluctabilité de sa défaite et infligera ainsi à son moral une blessure dont il ne guérira pas même passées les hostilités.

Un choc des civilisations est bien sûr et d’abord un choc de valeurs incompatibles, vision du   prix de la vie, ressenti du temps, André Malraux visitant Mao Ze Dong en 1965 lui demanda s’il pensait que le communisme était appelé à durer en Chine s’entendit répondre par son interlocuteur « Oh non ! Peut-être 1000 ans, pas plus ».

La guerre est une discipline et un art ou le rapport à la mort et au temps jouent autant que la puissance des armes et la valeur purement militaire des armées.

Ces guerres seront largement le combat de la vitesse contre le temps, de la force contre la durée.

Ni les américains, ni leurs alliés au Viet Nam ou en Afghanistan n’étaient prêts à se battre autant de temps que les « insurgés », il s’agissait de frapper fort et de rentrer vite, comme le disaient les présidents Nixon et Trump « bring the boys back home » d’autant plus que les opinions civiles de ses pays n’étaient, elles, pas prêtes à acquitter le  lourd tribut du sang versé, comme le disait encore Charles de Gaulle dans la France et son Armée en parlant des guerres lointaines « chacun voulait retourner au pays retrouver sa payse ».

Il s’agit encore de guerres qui ont couté des sommes colossales, des milliards de dollars aux occidentaux et d’abord aux USA, peu à l’ennemi.

Les occidentaux ont mis toute leur foi dans la déesse haute technologie et le dieu technicisme, ce furent des guerres bunkérisées avec peu de monde sur le terrain et beaucoup dans les airs, tout le contraire des « insurgés ».

Aucune bataille classique ne fut jamais perdue sur le terrain mais les coûts continuaient de s’envoler au fur et à mesure que la perspective de la victoire devenait de plus en plus fuyante malgré la disproportion des pertes entre alliés et insurgés.

Quand la guerre commence-t-elle ? quand la guerre s’arrête-t-elle ?

Peut-être qu’au final une guerre n’a pas besoin de commencer pour ne pas s’arrêter, peut être aussi que les occidentaux devraient méditer sur cette réflexion d’un Lieutenant-Colonel du corps des Marines des Etats Unis après ce que ses compatriotes pensaient être une victoire une fois Saddam Hussein renversé « War starts when it ends » : la guerre commence quand elle s’est terminée.

Pierre Ortiz