Et ce mec c’était moi. Je vivais dans ma bulle, dans une famille bourgeoise sans vouloir savoir ce qui se passait dans le monde, jusqu’au jour ou rentrant de vacances mi-septembre, ma mère me remit une carte « m’ invitant » à me présenter le 3 janvier 60 à Noyon quartier du 7èmerég. de cuirassier et là, ma bulle a éclaté.
Après quatre mois de classe sans histoire, nous savions que nous allions partir en Algérie, nous avions pu voir des films, nous montrant ce pays de cocagne où il faisait bon vivre… Mais ça, c’était avant.
Image Picryl
J’ai rejoint mon futur régiment le 6e.régiment de Hussard à Yakouren en Grande Kabylie. Après un voyage interminable, arriver devant la grande bleue, je me rends compte que la plupart de mes compagnons ne l’avaient jamais vue, Marseille, direction camps Sainte-Marthe, horribles souvenirs, cela nous préparait à ce qui nous attendait à destination, puces, cafards, punaises, en plus en Algérie nous avions les rats.
Après 22 heures de bateau, nous pouvons apercevoir Notre-Dame d’Alger. Quelques heures de liberté, j’en profitais pour visiter la ville, je pensais que j’étais sur le continent, ville très agréable à première vue, le lendemain départ en train direction Tizi Ouzou, j’ai senti les prémices de l’insécurité, il y avait un wagon plat devant la motrice, contre les mines. À notre arrivée un convoi nous attendait direction le PC du régiment.
Yakouren était situé en moyenne montagne au milieu d’une forêt de chênes-liège et très touffu, nous n’avions toujours pas touché notre arme, seul le chef de voiture avait un PM, heureusement trois half-tracks nous escortaient, de temps à autre nous apercevions une ferme brulée. Nous étions en territoire interdit, tout civil pris était un rebelle en puissance. Arrivé au régiment, dispatching des arrivants, je me retrouve 2e.escadron, qui était l’escadron des commandos de chasse qui venait d’être formé, je touche un bon vieux garant et suis dirigé vers le 3e.stick, nous étions 30 commandés par un S/L. Nous sortions 4 jours sur sept, dont deux nuits sur le terrain.
Au bout de 6 semaines à ce rythme-là j’ai fait une grosse crise d’amibiase, 40° de fièvre et les intestins en feu, envoyé d’urgence à l’hôpital de Tizzi, j’y suis resté 5 semaines et demie, et petit séjour de remise en forme à Dellis, station balnéaire sur la mer, petit paradis pendant 2 semaines. Au retour reçu par le capitaine Ja…m’annonça pour mon grand plaisir que j’allais au poste de Boumansour, il avait besoin d’un instituteur militaire…j’ai poussé un grand ouf. Le lendemain départ pour mon nouveau poste ou je rencontre mes nouveaux camarades. Boumansour était construit sur un piton style Eze-le vieux en France, village typiquement kabyle, les maisons étaient construites en grosses pierres avec un toit en tuile ou en tôle, une partie pour les animaux et le reste pour les humains, pas d’électricité, pas d’eau courante. Le village était entouré de barbelé pour la sécurité.
Le poste se situait au sommet. Nous étions trente Européens commandés par un S/L qui est devenu un ami très cher et malgré le temps nous nous voyons toujours avec d’autres tous les ans avec beaucoup de plaisir. Toutes les fournitures nous arrivaient à dos de brèle (mulet) car il n’y avait pas de route et nous devions faire 3 kms jusqu’à la route. Je pris donc ma fonction le lendemain et me retrouvais avec 80 gamins, garçons et filles, l’école était une mechta aménagée au milieu du village, j’ai fait mon horaire, séparé les grands des petits, jours pairs et impairs, 23 grands (certains parlaient un peu le français et traduisaient), ils m’ont donné beaucoup de satisfaction, pour les petits j’ai fait ce que j’ai pu. J’avais toujours une arme (PA) dans la ceinture pour plus de sécurité. J’étais le lien entre le chef de village et notre S/L. Le village était très pauvre, certains enfants venaient pieds nus, même l’hiver dans la neige.
L’officier SAS m’avait fourni un certain nombre d’ardoises et de craies et quelques livres. De temps en temps les rebelles du coin venaient la nuit tirer quelques coups de fusil ou d’arme automatique pendant quelques minutes, le temps que nous répondions, mais sans aucun résultat, c’était seulement pour nous dire qu’ils étaient bien là. Ce que nous redoutions le plus c’était les embuscades, car nous sortions en patrouilles et en embuscades la nuit, les sens en éveil constant, deux fois nous avons rencontré des rebelles, quand on a vingt ans et que les balles vous sifflent aux oreilles le temps parait très long et puis quelques minutes après, le silence sauf le gémissement d’un blessé, un de nos harkis a été touché, il est mort le lendemain à l’aube ; c’est la seule perte que nous ayons eue, mais cela est déjà trop.
Après l’hiver le génie est venu faire une piste, nous avons pu avoir un groupe électrogène , les copains se sont transformés en électriciens, et nous avons enfin eu de la lumière dans le poste, cela a changé notre vie. Le temps a passé, mais ces mois passés là-bas sont gravés en lettre d’or dans mon cœur.
Cette expérience nous a appris la fraternité d’armes, chacun pouvait compter sur l’autre en toute occasion, le partage des colis, cela nous changeait de l’ordinaire plus que médiocre, par moments avec autorisation du capitaine en revenant d’embuscade nous tirions un sanglier qui pullulait et notre cuistot nous gâtait, avec un bon…. vin militaire nous étions simplement heureux. Le plus dur était le manque de nos proches, il fallait attendre 14 mois pour avoir une permission de détente en France.
Mon service a duré 853 jours dont les quatre cinquièmes en Algérie, la seule chose que je regrette c’est de n’avoir pu voir qu’un petit coin de ce pays, je comprends que mes amis Pieds noirs y pensent toujours avec nostalgie. Depuis 1989 nous avons créé une amicale des anciens, nous avons pu retrouver 1085 anciens du régiment, officiers ,sous- officiers et hussards, quatre cents ont adhéré, avec le temps nos effectifs diminuent , nous sommes encore 245 membres cotisants, mais plus ou moins 80 qui se déplacent pour le rassemblement annuel. Pour ma part j’ai eu la joie de retrouver 9 anciens de mon poste, malheureusement trois nous ont quittés, mais tous les ans nous sommes vraiment très heureux de nous revoir. Voilà une partie des souvenirs du brigadier-chef que je suis devenu ils y en tellement d’autres, mais il est plus facile d’en parler que de l’écrire. Je parle rarement de tout cela, mais mon ami le C/Frégate Pierre Ortiz voulait avoir les souvenirs d’un appelé.
Claude Comte-Offenbach