La résilience et l’UE

L’Union européenne fait face à plusieurs menaces qui mettent à rude épreuve sa capacité à prendre des décisions résilientes. Dans notre étude sur la résilience, de multiples menaces ont été évoquées. L’Union est en train d’en prendre conscience et de s’armer afin de relever les nouveaux défis du XXIe siècle.

La première menace pour l’UE est sans doute de nature économique. La situation financière liée à la crise du Covid-19 plonge l’Union dans la plus grande incertitude du fait de la difficulté de prises de décisions rapides à 27. Le plan de relance « Next Generation EU » laisse apparaître les divisions entre les États membres, divergeant quant à la politique de croissance à adopter.

D’autres menaces existent et touchent à notre défense et sécurité. Les questions sociétales telles que l’immigration et la confiance des citoyens européens dans les institutions, laisse planer une remise en cause par l’ensemble des générations, de la place l’Union dans la vie des nations.

Face à ces multiples menaces, l’Union européenne se doit de trouver des solutions pérennes qui passent notamment par le droit et par son droit, ce que nous dénommons la résilience en droit. La résilience en droit peut se définir comme l’utilisation du droit de l’Union européenne comme une arme de résilience efficiente pour contrer un grand nombre des menaces auxquelles elle est confrontée. Aussi l’Union européenne se doit d’adopter une attitude résilience grâce au droit.

Il convient d’analyser non seulement le droit de l’Union européenne, partie intégrante de la définition de l’acquis européen, mais aussi le droit de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH). La ConvEDH, rattachée à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme, elle-même sous l’égide du Conseil de l’Europe. L’Union européenne et l’Europe font bloc sur ces menaces communes qui les touchent, révélant une articulation profonde entre ces deux entités.

En tant que solution, la résilience en droit doit être déclinée sous deux angles d’attaque différents : la résilience par le droit et la résilience dans le droit. Il conviendra de nous concentrer d’abord sur le concept de résilience par le droit.

La résilience par le droit nous permet de nous interroger sur l’efficacité du droit comme arme de résilience et de déterminer comment s’articulent ces deux notions pour n’en former qu’une : le droit facteur de résilience. Comme arme, le droit européen permettrait de renforcer notre État de droit, valeur fondamentale européenne et de contrer notamment l’arme de destruction massive qu’est l’extension de l’extraterritorialité américaine en Europe.

La résilience par le droit pourrait se définir comme suit : l’étude de la capacité du droit à rendre résiliente la politique de sécurité mise en place par l’Union européenne et son application par les États membres.

 La résilience par le droit est un facteur de résilience nécessaire à l’Union européenne pour adopter et adapter ses politiques publiques.

Ainsi, la résilience par le droit peut être vue comme un outil destiné à résorber une crise à laquelle l’Union serait confrontée. Résister, résorber, le droit a un objectif précis à atteindre, il est une arme résiliente dont l’Union européenne doit se servir.

L’illustration la plus manifeste de cette théorie est l’analyse de l’extraterritorialité du droit américain et son impact sur notre droit de l’Union.

On peut se poser les questions de savoir si le droit de l’Union européenne est résilient quand il s’agit de faire face à l’imposition par les États-Unis de leur droit par le biais de leur extraterritorialité et quels sont les outils juridiques à la disposition de l’UE.

Tout d’abord, l’extraterritorialité du droit américain signifie une application en dehors de son territoire de certaines normes de son régime juridique. Les Américains n’hésitent pas à imposer de lourdes sanctions aux étrangers à l’étranger depuis les fameuses lois de 1996, les lois Helms-Burton et Amato-Kennedy. Ces lois imposent des sanctions à toutes personnes entretenant des rapports commerciaux avec les États-Unis et les Rogue States.

Cette politique juridique américaine est une arme utilisée par les Américains qui veulent conserver leur part majoritaire dans les échanges commerciaux internationaux. En 1996, par exemple, ces lois américaines avaient été adoptées par le Congrès à la suite d’un embargo imposé à Cuba depuis 1960, dont 45% des importations proviennent du commerce avec les pays européens.

L’Union européenne avait réagi pour une fois rapidement et avait fait preuve de résilience en utilisant l’arme juridique pour contrer les effets de cet embargo avec l’adoption d’un règlement pour se protéger des effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions judiciaires qui en découlent.

L’action de l’Union européenne en 1996 est déjà une preuve non négligeable qu’elle peut agir pour contrer les effets de l’extraterritorialité du droit américain et que les 27 sont capables de faire front commun face à cette menace.

Toutefois, depuis lors, aucun autre acte juridique n’a été adopté alors que les Américains ont continué à adopter des lois extraterritoriales, dont la dernière porte sur la lutte contre la radicalisation et le terrorisme en 2015.

L’Union essaya de faire entendre sa voix, avec la création de la plateforme européenne INSTEX en janvier 2019 pour contrer les sanctions américaines contre les entreprises qui commercent avec l’Iran. Cependant l’Union européenne n’a pas ressorti l’arme du droit, qui a montré pourtant son efficacité en 1996.
L’Union européenne doit se saisir de cette question, au-delà de l’établissement de rapports sur la question, comme le fait le Parlement européen. Elle dispose déjà de nombreux outils juridiques et dispose d’un droit de la concurrence maintenant bien développé.

Pour pallier cette situation, plusieurs recommandations peuvent être proposées.

Il pourrait être envisagé de créer un Code de la concurrence européen avec un titre sur la compliance et la due diligence permettant aux sociétés européennes d’être protégées en cas de sanctions américaines sur le marché mondial.

Les concepts de compliance et de due diligence, également importés des États-Unis, désignent la bonne conduite à adopter par les entreprises.

Utilisons les principes américains pour faire face et résorber les effets négatifs de leurs propres règles.

La prochaine présidence française au Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022 est également un évènement majeur pour faire évoluer et progresser le droit, arme de résilience pour contrer l’extraterritorialité du droit américain. La France peut utiliser son propre droit en exemple et utiliser la dernière loi Sapin II qui impose directement des entreprises étrangères dont les montants reviendraient directement au Trésor français. La loi Sapin II est un exemple d’une loi que l’Union européenne pourrait utiliser comme référence au sein de son propre droit.

Cependant, la loi Sapin II est un colosse aux pieds d’argile. Elle se révèle peu offensive en ne disposant que d’un volet dit défensif par la création de ces sanctions. De plus, le milieu judiciaire français et les magistrats n’ont jamais jusqu’ici sanctionné de sociétés étrangères sous le prisme de cette loi.

Cette inapplicabilité de la loi et le manque de levier dit offensif peuvent néanmoins être vus sous un autre aspect par la France lors de la prochaine présidence et démontrer justement qu’il est temps que les Européens se dotent en commun d’un pouvoir de sanction et développer des outils juridiques extraterritoriaux.

La loi française sert de levier et de modèle à une négociation européenne face aux Américains qui ne cessent de sanctionner encore sur d’autres marchés. L’exemple de l’affaire du Nord Stream II en est une illustration récente et révélatrice. Pour rappel, il s’agit de la construction d’un pipeline transportant du gaz reliant la Russie à l’Allemagne en passant par l’Ukraine. L’Ukraine, terrain de confrontation indirecte entre les États-Unis et la Russie, de par ses enjeux stratégiques en mer Noire qui remet en question l’influence américaine dans cette région fragilisée par l’annexion de la Crimée par les Russes en 2014.

Enfin, une directive européenne serait des plus avisée sur les sanctions extraterritoriales, afin de permettre aux droits nationaux de s’adapter, première étape d’un droit résilient, afin de permettre à chaque État membre de prendre des mesures adéquates en cas de nouvelles sanctions à l’encontre des entreprises européennes.

Pauline Nouchi
Déléguée Belgique
Jeunes IHEDN

 

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