Mes chers Camarades.

Éric Zemmour aura levé un petit lièvre ou mis sur la place publique un débat qui, comme la suppression de fait du service militaire n’eut pas lieu, celui de la France et du Commandement militaire intégré de l’OTAN que le général de Gaulle décide de quitter en 1966, sans pour autant quitter l’Alliance doit-on le rappeler ? Le prix à payer étant bien sûr un poids moindre dans les prises de décisions communes.

Quel est l’honnête homme qui nierait qu’il y ait, dans la question de la France au sein du CI (Commandement Intégré) des « pours » et des « contres », mais peut être et surtout des interrogations qui restent en suspens et auxquelles il serait peu convaincant de répondre par des coups de poing sur la table. Pour citer le poète : « on ne peut plaire à tout le monde et à son père », d’ailleurs déjà en son temps, la décision du général ne souleva pas l’enthousiasme chez tout le monde et notamment pas chez les militaires.

Si comme chez les militaires, dont c’est la fonction, on se penche sur le dossier avec des lunettes opérationnelles et pratiques, le débat est tranché et la cause est entendue, la balance va sans hésiter du côté du CI. Qui nierait que l’échange de l’information et du renseignement à défaut d’être fluide est facilité ? Or il n’est pas d’armée opérationnelle qui soit crédible sans pouvoir s’appuyer sur de la connaissance de situation, Sun Tsu en son temps le proclamait déjà.

De plus, complètement intégrée dans l’OTAN, la France fait mieux entendre sa voix sans pour autant cultiver systématiquement la dissonance, celle d’une puissance de poids plus à même de faire valoir ses arguments et ses intérêts au sein d’un groupe auquel elle adhère.

Comme il est indéniable que l’interopérabilité est consubstantielle à l’OTAN et que toute action dépassant le cadre national ne peut s’en trouver que renforcée et crédibilisée.

Il serait tout autant difficile d’ignorer les économies d’échelle que la place de plein droit dans l’OTAN entraine, économies d’échelle qui s’imposent dans un contexte budgétaire, actuel et à venir, de plus en plus tendu.

La France peut également se désister d’actions qui ne lui conviennent pas comme elle garde, seule, la maitrise de son feu nucléaire.

Mais en même temps, il est difficile d’avoir des « pour » sans des « contre » même si le débat est grandement faussé dès son entame puisqu’autant le camp du « pour » fait dans la pratique et l’opérationnel, autant celui du contre tire à coups d’arguments politiques voir géopolitiques. Les contempteurs de la réintégration dans le bercail otanien rappellent à plaisir que la France deviendra à partir de cette époque (1966) une référence en matière diplomatique et politique notamment en Amérique latine si loin de Dieu et si proche des USA, comme elle sera la première à nouer le dialogue avec la RPC et l’approfondir avec la Russie Soviétique (visite de 1966, « Vive l’Union soviétique »), brèche dans laquelle les alliés, d’abord furieux contre le rebelle, s’engouffreront. Juger des effets et des résultats de la politique gaulliste est un exercice difficile comme il est difficile de nier que cette sortie de l’OTAN rehaussait le statut, visible à tout le moins, de la France en tant que nation indépendante, souveraine et courageuse.

La France se voulait une passerelle privilégiée de dialogue avec l’Est, le monde arabe, le tiers monde, le monde occidental, le fut-elle ?

Revenons à l’argumentaire triple ou quadruple de 1966 qui selon le Général justifiait le départ du CI, d’abord l’argument de la souveraineté et de l’indépendance : la France ne veut dépendre de personne par principe, aussi dans la logique d’une telle volonté d’abord propre à Charles de Gaulle, la France assumera seule sa défense, d’autant plus que la maîtrise totale du feu nucléaire et une armée de 500 000 hommes donnaient à la France les moyens de sa politique ; autre considération de poids, l‘URSS de 1966 n’est pas celle de Staline et la probabilité de voir les T62 sur les Champs Élysées après avoir traversé la fleur au fusil l’Allemagne et la Belgique était douteuse, comme elle l’est à plus forte raison aujourd’hui.

De Gaulle voulait également ne pas être entraîné dans un conflit qui n’aurait pas été celui de la France, rappelons qu’à l’époque les USA et leurs alliés étaient engagés dans une guerre sans rémission au Viet Nam dont seul le général avait eu le courage de prédire l’aboutissement, d’autant plus que les Français, en leur temps et comme le disait le Colonel Bigeard à Diên Biên Phu, « attendaient les Américains pour nous sauver la mise, on les attend toujours »

À partir de là, même d’avant, on pourrait être tenté d‘exciper d’un autre argument, celui du vieux contentieux entre le général et les Anglo Saxons pendant le deuxième conflit mondial où, comme il le narre dans ses mémoires, il croisa presque autant le fer avec les Anglo-Américains qu’avec les puissances de l‘Axe.

Les arguments des deux côtés de la balance ayant été épuisés restent les questionnements et les incertitudes.

Si l‘ennemi est un nouveau bloc de l’Est russo Chinois, dans quelle mesure pourrait-on compter sur un soutien inconditionnel des USA en cas de conflit classique ? Un conflit où des coups inacceptables risqueraient d‘être portés sur le territoire des USA ou de faucher les rangs américains ?

Il est une autre question et peut-être la première, au fait qui est l‘ennemi, qui nous menace et sous quelles formes ?

Quelle est la menace prégnante face à nous, et peut-être au-delà, qui menaçons-nous ?

Peut-être faudrait-il garder à l‘esprit ce deuxième conflit mondial où l‘enjeu pour la Russie ne fut pas la défaite, mais la survie qui advint au prix de dizaines de millions de morts.

Peut-on nier que la Russie a peur, qu’elle est inquiète, qu’elle se sent encerclée après des promesses non tenues, les invasions suédoises, polonaise, française et allemande ont gravé son inconscient collectif surtout la dernière dont le but n’était pas la défaite, mais la disparition du peuple russe avec son cortège de dizaines de millions de morts.

S’il est un exercice auquel l’IHEDN devrait se livrer plus souvent c’est celui d’explorer d’autres modes de pensée et de ressentir que ceux des Occidentaux réunis autour du grand frère américain. Après tout, pourquoi serions-nous les seuls à avoir une âme ?

Comprendre un homme comme Wladimir Poutine dont la famille a vécu le siège inhumain de Leningrad siège dans le culte duquel l’actuel maître de la Russie a été élevé par ses parents et grands-parents est un exercice qui peut avoir son utilité.

Et puis enfin, certains pensent que la Russie jouerait le rôle d’ennemi utile, un ennemi dont on peut se poser la question de savoir s’il a les moyens de vous attaquer et dont on fait un ennemi redoutable comme les USA en 2003 avec l’Irak et George Orwell dans le roman « 1984 », cela permet de réunir et de souder sans trop de risques. La Russie aurait-elle encore une politique expansionniste, ses moyens 20 fois inférieurs à ceux de l’OTAN en termes budgétaires ne lui fourniraient pas les outils de sa politique, moyens cependant suffisants pour créer un gros clash avec effet de domino.

D’ailleurs ne peut-on se poser la question de savoir si, ce qui est peu probable après la débandade d’Afghanistan, les USA décidaient de repartir dans une de ses aventures militaires dont ils ont le secret et que la France à nouveau s’y refusait, quelles seraient les conséquences pour elle, quel serait le prix à payer ? Même si la question ne se pose pas nécessairement dans un cadre OTAN.

Autre questionnement, celui de l’efficacité d’actions comme celle contre les djihadistes roulant à tombeau ouvert vers Bamako du temps du président Hollande, ladite opération se fit avec des moyens logistiques et du renseignement américain, l’autorisation algérienne de survol de son territoire et l’appui réel de combattants tchadiens au sol, doit-on rappeler qu’il ne s’agissait pas d’une opération OTAN qui arrêta les djihadistes. Si la France n’avait pas réintégré le CI, ces moyens d’urgence lui auraient il été refusés ?

Le bi, tri, quadrilatéral n’est-il pas dans certains cas plus ouvert et adapté aux surprises stratégiques ?

Pour conclure quelques mots sur l’aspect industriel qui du fait de son importance aurait pu constituer l’exorde de la liste des questionnements.

La France a toujours été partie intégrante de programmes multilatéraux bien avant son intégration, qu’il suffise de citer le Roland, le LRM, etc…autant que d’achats comme les catapultes sur le Charles de Gaulle, les fusils Rugger.

Au milieu des années 80, l’Armée de Terre américaine acheta à La France le système de communications RITA sans doute parce qu’il était le meilleur au monde et sans qu’il soit nécessaire d’être dans le CI.

L’un des dirigeants de l’Union IHEDN avançait il y a quelque temps l’idée selon laquelle l’OTAN était peut-être avant tout un super marché destiné à imposer les normes et à vendre le matériel des entreprises américaines, le fait pour la France d’avoir réintégré le CI est-il un avantage pour les entreprises françaises, a-t-on vendu plus aux pays de l’UE et de l’OTAN depuis que nous avons réintégré la grande maison en 2009 ?

Beaucoup de questions qui nous l’espérons seront éclairées au moins partiellement lors du débat auquel nous aspirons.

Pierre Ortiz