Nous avions en majorité entre 20 et 22 ans, nous vivions dans l’insouciance en métropole

Monsieur l’ambassadeur, mesdames, messieurs en vos grades et qualités,

Que représente le 18 octobre 1999 pour un appelé du contingent ? à cette date un décret signé par le président Chirac, lui-même ancien sous-lieutenant en Algérie, remplace les mots « maintien de l’ordre » par « guerre d’Algérie », il s’agissait donc de la troisième génération après celle qui avait connu le feu. On y reconnaissait nos 30.000 morts et les milliers de blessés, sans compter les milliers de traumatisés après la fin du service, nous n’avions pas de cellule psy pour libérer de notre mémoire ce que nous avions vu ou subit pendant les 24 mois de bled.

Nous avions en majorité entre 20 et 22 ans, nous vivions dans l’insouciance en métropole, bien sûr nous savions qu’il y avait une rébellion en de l’autre côté de la mer, mais c’était si loin, jusqu’au jour où le facteur nous remettait notre carte d’appel. Après 4 mois de classe, pour les autorités, nous étions prêts à combattre, donc par une belle journée de mai je suis arrivé à Yakouren en Grande Kabylie, après avoir passé une journée de détente à Alger on aurait pu se croire dans le sud de la France, mer bleue, les odeurs, l’accent, l’anisette sur les terrasses, nous étions loin de la réalité, en effet, pour arriver au régiment, il fallait être en convoi avec escorte de blindés, j’ai su alors que nous étions en zone interdite, le paysage était sublime, forêt profonde, trop peut-être, car malgré l’opération « jumelle », l’ennemi était toujours là.

Nous étions affectés au 6ème.Hussard, théoriquement un régiment de cavalerie, mais les chevaux étaient remplacés par nos rangers. Après trois mois au commando de chasse, et un mois à l’hôpital de Tizi Ouzou  pour une dysenterie amibienne, j’ai été affecté au poste de Boumansour comme instituteur, fini pour moi, le crapahu, mais être instituteur était plus dangereux, s’il y avait une attaque l’instit était visé en premier, c’est pour cela que j’avais touché un pistolet caché dans ma ceinture, les civils ne devaient pas savoir que j’étais armé. Le poste se composait de trente militaires, tous appelés, même le S/L nous avions chacun notre  occupation.

Je me suis retrouvé avec 80 enfants et j’étais seul. la première chose que j’ai faite c’est de séparer les grands des petits , ils allaient en classe un jour sur deux, j’avais avec moi un harki, ancien d’Indochine qui parlait Français et qui me servait de traducteur et de protecteur au cas où …..Grâce à la SAS d’Azazga j’avais reçu des bancs,  ardoises ,craies, tableau et 2 cartes, une de France et une d’Algérie., ces enfants voulaient apprendre, cela a duré un an avant que le poste ne soit fermé, c’est dommage car j’avais obtenu un résultat certain ,car au bout de l’année scolaire une quinzaine comprenaient et savaient se faire comprendre. Le village se situait en montagne sans aucune communication sauf des chemins d’une certaine largeur qui montaient à la route nationale qui se trouvait à 3 kilomètres,, nous avions 6 mulets pour le ravitaillement qui se faisait une fois  par semaine, l’été pas de problème mais l’hiver sous la neige , le vent glacial c’était une autre histoire.. Le village était typiquement kabyle maisons construites pierre sur pierre avec du torchis pour servir de ciment, bien sûr aucune commodité, pas d’eau courante, pas d’électricité, heureusement il y avait deux sources qui ne gelaient pas en hiver, un millier de personnes y vivaient.

Nous étions harcelés régulièrement par l’ALN , sans causer de dégâts , simplement pour dire qu’ils étaient là, malgré les patrouilles et embuscades tous les deux jours pour aucun résultat jusqu’au jour où cela a tiré de tous les côtés, mon  ami, avec qui j’avais fait mes classes en France et qui marchait devant moi a été touché en premier, il est tombé sur moi, j’ai réussi à le tirer hors du chemin mais  c’était trop tard, cela n’a pas duré longtemps peut être dix minutes mais cela a été les minutes les plus longues de ma vie, à l’époque notre gilet pare balles c’était notre chemise.

Cette embuscade m’a poursuivi pendant de longues années, pratiquement toutes les nuits j’en ai rêvé. Jusqu’au jour où par chance j’ai retrouvé mes copains au sein de l’association des ancien du régiment qui étaient avec moi cette nuit-là et nous avons parlé parlé, parlé des deux morts que nous avions eus, un européen et un harki et depuis les cauchemars ont pratiquement disparus grâce à  l’utilité des cellules psychologiques actuelles.

Il fallait absolument reconnaître que nous étions des combattants, envoyés par notre gouvernement, pour protéger les Français d’Algérie. Ceci est mon histoire mais nous sommes 1 million et demi à avoir été là-bas, et vous aurez autant d’histoires personnelles que d’appelés. Je pense que nous avons rempli notre mission. La suite, c’est une autre histoire.

Plusieurs films parlent de cette guerre, le seul qui se soit approché de ce que j’ai vécu se nomme « L’honneur d’un capitaine » de Pierre Schoendoerffer  avec Jacques Perrin, bien sûr il y a quelques erreurs mais le fond est parfait. Je remercie mon ami Pierre d’avoir lu ce récit, j’aurais été encore aujourd’hui, soixante après, incapable  de le faire.